La Vienne de l'Âge classique à nos jours
A l’Âge classique, de nouvelles relations entre villes et campagnes
Le paysage évolue sans grands événements
Après les guerres de Religions, la Vienne renoue avec une évolution dans le temps long, sans événements spectaculaires, le Poitou étant plutôt qualifié de territoire prospère et paisible. Au sujet de Louis XIV, l’historien Jean Giraudeau écrit en 1873 dans sa chronologie poitevine : « A partir de ce règne, les événements qui appartiennent vraiment au Poitou n’offrent absolument aucun intérêt »[1]. C’est bien sûr un point de vue d’historien, et l’absence d’événements locaux particuliers n’empêche pas la société d’évoluer, ni les décisions royales d’exercer une influence sur le territoire.
Les forêts soumises à la pression démographique
A partir du XVIe siècle, la population croît sans discontinuer, la production des campagnes augmente et commence à nourrir les villes qui grandissent, alors que les forêts assez nombreuses de la Vienne, de plus en plus sollicitées également, souffrent de prélèvements plus importants que ce qu’elles peuvent produire. Si bien qu’au XVIIe siècle, les forêts s’épuisent, les brandes(Les brandes désignent une lande à bruyère à balais où se mêlent plusieurs espèces de bruyères, des ajoncs, des genêts, des fougères et des graminées. Il s'agit d'une lande de déforestation, qui se développe sur des sols pauvres.) et autres landes gagnent du terrain. Pour les grandes forêts comme Moulière, Louis XIV va engager des travaux qui porteront leurs fruits au siècle suivant et au-delà. Les autres vont se reboiser de manière moins planifiée, mais la plupart étant sur des terres difficiles à mettre en culture, elles finiront par être entretenues et reprendre, une partie seulement sera abandonnée à la lande dont les surfaces déjà importantes n’augmentent plus.
Le Loudunais semble très peu boisé et la seule forêt importante indiquée à l’ouest du Clain est celle de Vouillé-Saint-Hilaire. Toutes les autres forêts sont entre le Clain et la Gartempe, occupant des surfaces assez importantes, qui vont être ensuite en partie gagnées par les brandes(Les brandes désignent une lande à bruyère à balais où se mêlent plusieurs espèces de bruyères, des ajoncs, des genêts, des fougères et des graminées. Il s'agit d'une lande de déforestation, qui se développe sur des sols pauvres.), puis mises en culture.
Les différences par rapport à la carte de 1579 proviennent en partie de la meilleure précision de la carte. Néanmoins, il semble qu’à part la forêt de Moulière, les grandes forêts à l’est du Clain se sont réduites ou fragmentées. En revanche les boisements semblent plus nombreux dans l’ouest et le nord, qui correspondent à des sols moins dégradés et un moindre développement des brandes(Les brandes désignent une lande à bruyère à balais où se mêlent plusieurs espèces de bruyères, des ajoncs, des genêts, des fougères et des graminées. Il s'agit d'une lande de déforestation, qui se développe sur des sols pauvres.).
Du Poitou au département de la Vienne
Haut et Bas Poitou, une distinction administrative tardive
Les modalités de la création des départements en remplacement des provinces, en 1790, au lendemain de la Révolution, et les discussions qui eurent lieu pour en préciser les frontières concourent à la compréhension des territoires actuels.
Pour la Vienne, des hésitations provenaient d’une part, du fait qu’à la veille de la Révolution, Loudunais et Mirebalais n’étaient pas inclus dans le Poitou, et d’autre part, de la volonté de certains de s’appuyer sur la distinction entre Haut et Bas Poitou.
Le rattachement du Loudunais et du Mirebalais fut facilement acquis mais l’idée de créer deux départements reprenant en partie les découpages du Haut et du Bas Poitou résista plus longtemps. Cette distinction mise en place sous Louis XIV ne servait semble-t-il qu’à doter le Poitou de deux gouverneurs militaires pour mieux contrôler la féodalité de la province. Elle n’eut donc pas de poids historique suffisant, et finalement trois départements furent retenus en Poitou : Vendée, Deux-Sèvres et Vienne. La conclusion ne devait toutefois pas être évidente puisque les Deux-Sèvres furent d’abord nommées « Département intermédiaire du Poitou ! ».
Nous avons vu en introduction les difficultés à identifier le département de la Vienne, liées à des questions de dénomination. La réutilisation récente du terme de Haut Poitou vient ajouter à la confusion. Car ce terme, qui ne correspond à aucune entité reconnue d’un point de vue naturel ou culturel, avait assez justement été mis en sommeil à partir de la création des départements.
La réutilisation du terme « Haut Poitou » pour le vignoble classé VDQS(Vin délimité de qualité supérieure) en 1970 puis AOC(Appellation d'origine contrôlée) en 2011 a remis le nom au goût du jour associé à une dénomination commerciale (on parlait autrefois des vins de Neuville) sans correspondance avec la signification géographique d’origine qui couvrait à peu près tout le département et au-delà.
Plus récemment, dans le cadre la Loi NOTRe les communautés du Mirebalais, Neuvillois et Vouglaisien ont été regroupées en Communauté de Communes du Haut-Poitou sans plus de précaution.
XIXe – XXIe siècles
Une lente progression à l’écart des révolutions industrielles
Pendant le XIXe siècle l’accroissement de la population de la Vienne se fait au même rythme que celui de la France : 240 000 habitants en 1800, 338 000 à la fin du siècle soit une augmentation de 40 % avec un rythme plutôt régulier. Par rapport aux département voisins, c’est un taux proche des Deux-Sèvres, intermédiaire entre les départements moins dynamiques que sont l’Indre-et-Loire, le Maine-et-Loire ou la Charente, et l’Indre ou la Haute-Vienne où l’augmentation est plus forte.
Fidèle à sa réputation, la Vienne semble poursuivre sa lente évolution. Le département est relativement épargné par la Révolution industrielle. « Les conditions naturelles du département ont peu favorisé son développement industriel : pas de source d’énergie, pas de matière première en quantité... » Inventaire régional du patrimoine culturel de la région Poitou-Charentes (Jean-Pierre Azéma, Pascale Pouvreau, 1991). Ce sont donc plutôt des établissements de taille modeste qui vont se développer, principalement le long du Clain, de la Vienne, de la Gartempe, et essaimer plus modestement sur le reste du territoire, à l’exception du sud-est du département, plus rural.
Après les activités liées aux cours d’eau ou les forges exploitant un fer local devenu insuffisant, le chemin de fer va permettre l’implantation de quelques industries plus importantes telles que les carrières, usines chimiques, fonderies, ou la manufacture d’armes de Châtellerault dont les produits sont exportés hors du département.
Dans les campagnes, « les bras manquent et le salaire augmente »
En 1869, l’Enquête agricole livre le témoignage de représentants (maires, agriculteurs…) de différentes parties de la Vienne. Les termes qui reviennent le plus sont le manque de main d’œuvre, la production qui augmente (mais ne se vend pas assez chère à cause du coût de la main d’œuvre qui augmente), le bon état des grandes routes et le mauvais état des chemins vicinaux.
Certaines cultures comme la vigne, ou l’asperge à Lencloître (exportée aux quatre cinquièmes vers Paris) sont présentées comme très rentables. Le maire de Saint-Pierre-d’Exideuil indique que les terres mises en culture augmentent fortement. D’autres demandent plus de machines, d’engrais… L’ensemble des témoignages décrit une économie qui se porte plutôt bien.
Carte établie vers 1760. Contrairement à la carte de l’état-major publiée un siècle plus tard, la carte de Cassini indique, en plus des vignes (pointillés sur fond vert) et des forêts (motif le plus foncé), la présence des landes (taches vert foncé sur fond vert clair). Les cultures sont en blanc.
Au nord-ouest, le vignoble s’avance jusqu’aux portes de Poitiers. Il est majoritaire sur de nombreuses communes entre les vallées de l’Auxance - Vendelogne et celle de la Pallu, se prolongeant jusque vers la Dive, cédant la place aux cultures plus au nord.
Au nord-est, landes, forêt, cultures et vignes se partagent l’espace entre Clain et Vienne, puis les landes dominent à l’est de la Vienne.
Cette répartition, qui perdure pendant le XIXe siècle et une partie du XXe traduit une diversité et une juxtaposition d’espaces plus spécialisés qu’aujourd’hui au profit d’une économie agricole qui, selon les témoignages, semble s’en accommoder.
Il ne semble pas que les autres activités soient pénalisées par la forte présence de la vigne, comme l’indique dans l’enquête de 1869 M. Décle, négociant à Neuville :
« Le canton de Neuville est exceptionnel sous le rapport des produits, du commerce, de l’industrie et de l’agriculture. Il y a une grande aisance… ll faudrait de grandes voies de communication pour écouler les produits. Si la ligne de Limoges à Poitiers se prolongeait vers Nantes, les vins s’écouleraient plus facilement. »
Autrement dit, si la Vienne n’est pas une vitrine de la Révolution industrielle, elle en profite plutôt.
Fin XIXe, les vignes disparaissent mais l’élevage progresse
C’est du côté du vignoble que les changements vont être les plus visibles avec le phylloxéra qui décime le vignoble à partir de 1878. Celui-ci, 30 fois plus étendu qu’aujourd’hui ne sera que partiellement replanté à la fin du XIXe siècle. De manière moins spectaculaire, l’élevage va également se développer à la fin du XIXe siècle, favorisant la création de laiteries qui apparaissent à côté ou en remplacement des autres petites industries liées à l’agriculture (huileries, tanneries…).
Fin du XXe-XXIe siècles : décentralisation, crise… et transition
La suite reflète en partie des politiques d’aménagement du territoire dont la Vienne va être bénéficiaire… Contrairement à d’autres départements à dominante rurale, le creux démographique dû aux guerres dans la première moitié du XXe siècle va être effacé dans la décennie 1960 et la croissance démographique va poursuivre sa hausse modérée jusqu’à la fin du XXe.
Les efforts de déconcentration débutent dans les années 1960 où diverses industries s’installent, comme à Chasseneuil. C’est ensuite dans l’esprit de la décentralisation des années 1980 que sera créé le Futuroscope (ouvert en 1987) qui va fortement impacter les formes et l’intensité de l’urbanisation au nord de Poitiers, alors que les sites industriels sont en crise.
Mais ces réalisations concentrent la croissance dans la conurbation de Poitiers et manquent de relais au début du XXIe siècle. Poitiers qui a vu sa population augmenter de 82 % entre 1946 et 2006 stagne depuis, Migné-Auxances également, et même Chasseneuil et Jaunay-Marigny ne croissent plus.
Montmorillon perd des habitants au XXIe, Chauvigny, comme Lusignan stagnent, Buxerolles qui est passée de 1000 à 9000 entre 1937 et 2000 stagne depuis. Saint-Benoît a une évolution comparable.
Un peu plus loin, à Loudun comme à Châtellerault, alors qu’elle avait fortement augmenté entre 1960 et 1980 (respectivement 48 % et 57 %) la population ne cesse de diminuer depuis (respectivement -17 % et -15 %). Le schéma est comparable quoiqu’atténué à Lussac-les-Châteaux ou Civray.
D’autres villes sont restées à l’écart des projets de la fin du XXe siècle. A Mirebeau ou Lencloître, la population stagne depuis une centaine d’années, à Saint-Savin elle diminue même depuis 140 ans. Mais ce n’est en rien systématique, à l’opposé, quelques bourgs, bien qu’éloignés de Poitiers, continuent de s’accroître au XXIe siècle : Vouillé, l’Isle-Jourdain, Gençay plus timidement.
En revanche, en s’approchant des limites départementales, la démographie des communes rurales est presque partout en nette baisse pendant tout le XXe siècle. Le déclin s’est souvent atténué dans les années 1990-2000, mais pour une stabilité fragile et une baisse qui semble reprendre à partir des années 2010.
Au début du XXIe siècle, les évolutions semblent entretenir le même contraste entre la conurbation des bords du Clain qui conforte sans éclat sa centralité et les espaces ruraux périphériques dont le déclin semble désormais limité ou enrayé.
Aujourd’hui, la transition écologique commence l’écriture d’une nouvelle histoire avec ses volets environnementaux (protections des espaces naturels et de la biodiversité notamment), mais aussi ses conséquences en termes industriels et d’infrastructures.
[1] Jean Giraudeau, Précis historique du Poitou pour servir à l’histoire générale de cette province, 1843