La Vienne : un imaginaire paysager ténu
Hier comme aujourd’hui, les principaux éditeurs de guides de tourisme, comme les articles ou ouvrages scientifiques, intègrent la Vienne aux côtés des Deux-Sèvres et parfois de la Vendée, dans les espaces plus larges du Poitou ou de l’ancienne région Poitou-Charentes. À cela s’ajoutent une approche des paysages par le filtre majoritaire du patrimoine (l’architecture romane et les châteaux) et, depuis les années 1980, une focalisation sur le parc du Futuroscope, porte d’entrée et moteur du tourisme de la Vienne. Ces représentations tendent à limiter l’imaginaire paysager de la Vienne.
Une image globale peu caractérisée
Il est manifestement difficile de résumer en quelques mots les paysages de la Vienne. Les guides touristiques en font tantôt un tableau assez neutre s’appuyant sur la topographie, les sols…, tantôt une collection d’images et d’adjectifs très généraux qui peinent à faire naître des représentations mentales. Mais quels que soient les auteurs, tous s’accordent pour envisager la Vienne comme un département de transition, sans régions naturelles ou paysages bien différenciés.
La page d’accueil du site Internet du Conseil départemental de la Vienne s’ouvre sur cette image de paysage rural, avec au premier plan un champ de blé et, dans le creux d’un petit vallon, un village d’où émerge le clocher d’une église romane. Choisie sans doute pour son caractère consensuel, elle n’est pas localisée et témoigne de la difficulté de mettre en avant une représentation emblématique du territoire départemental, identifiable par tous, Viennois ou non-Viennois. Malgré les qualités du paysage représenté, l’image reste trop générique pour pouvoir y reconnaître le département.
Un département de transition
[…] En dépit de ces variétés de sol et des diversités de culture qui en résultent, il n’y a pas de régions naturelles bien tranchées dans le département de la Vienne, comme par exemple dans quelques départements voisins la Charente, où le pays de Confolens est absolument différent des Terres-Chaudes, les Deux-Sèvres, qui ont leur Bocage, leur Plaine et leur Marais […]. »
Adolphe Joanne, Géographie de la Vienne, Librairie Hachette, 1877
Malgré la grande unité du réseau hydrographique presque entièrement tributaire de la Vienne, le département, qui porte le nom de cette rivière principale, est surtout une région de transition. »
André Jollet, Évolution du paysage rural du département de la Vienne, de 1830 à nos jours. In : Norois, n°11, Juillet-septembre 1956. pp. 305-316
La Vienne diluée dans le Poitou, pour des paysages toujours peu identifiés
Il est des régions de France qu’il est à peine besoin de présenter. La Bretagne, l’Alsace, la Provence sont de celles-là. Leur nom leur tient lieu de carte de visite. D’emblée, on sait où elles se situent et leurs caractéristiques essentielles sont tout de suite présentes à l’esprit. Poitou-Charentes… Hem ! c’est autre chose. Quelque chose d’assez flou, ma foi. Quand d’aventure, il nous arrive de mentionner, au cours d’une conversation, nos origines deux-sévriennes, il faut voir ce gigantesque point d’interrogation qui clignote dans l’œil de notre interlocuteur ! Charitables, croyant éclairer sa lanterne, nous lançons alors le mot poitevin ? Sans plus de succès. »
Michel et Françoise Moine, Sentiers de randonnées de Poitou-Charentes, à pied, à bicyclette, Fayard, 1976
Les guides touristiques et les sites institutionnels de tourisme sont les principaux vecteurs d’images mentales et concrètes des paysages. Dans le cas de la Vienne, les guides les plus diffusés (guides Vert Michelin, du Routard, le Petit Futé par exemple) incluent presque toujours le département dans l’ensemble plus large du Poitou intégrant la Vienne, les Deux-Sèvres, moins systématiquement la Vendée. A défaut le territoire de référence s’élargit encore à l’ancienne région administrative de Poitou-Charentes, appellation encore souvent citée bien qu’abandonnée depuis 2016.
Pour la Vienne, le Poitou…
Exceptée la couverture du Guide du Routard 2019-2020 présentant l’abbaye de Saint-Savin et son site au bord de la Gartempe, les deux autres guides « Poitou » ont pour images d’appel le Marais poitevin situé dans les Deux-Sèvres (et pour une bonne part au-delà, en Vendée et Charente-Maritime). On remarque aussi que le Guide du Petit Futé est le seul à citer explicitement la Vienne, ceux du Routard se contentant de sous-titrer Futuroscope, Marais poitevin sans référence à leurs départements d’appartenance.
Le Poitou comme dénomination identitaire et attractive est aujourd’hui pourtant revendiqué par le Département aux côtés notamment des Chambres de commerce et d’industrie de la Vienne et des Deux-Sèvres. La marque « Poitou » limité dans ce cadre au « Haut-Poitou » est née en 2016 pour que son « image puissante qui lui vaut une renommée internationale » favorise l’attractivité du territoire.
… ou plus largement encore l’ex-région Poitou-Charentes
Ces différentes éditions du guide vert Michelin qui concernent la Vienne montent une hésitation certaine à dénommer, donc identifier les espaces dont ils font la promotion. A gauche, pour le plus ancien, au Poitou qui englobe la Vienne et les Deux-Sèvres ont été ajoutés les noms des départements des Charentes et de la Vendée, pour décrire finalement la région Poitou-Charentes, amputée du département de la Charente-Maritime. Le suivant simplifie en donnant le nom de l’ancienne région administrative, encore en usage à cette époque. Dans l’édition de 2018, les deux termes en ont été inversés, sans doute pour marquer l’inclusion en 2016 de la région Poitou-Charentes dans celle de la Nouvelle-Aquitaine.
Alors que le guide Gallimard, à gauche, met en exergue une photo d’Angles-sur-l’Anglin, le guide bleu d’Hachette préfère une photo évoquant le Marais poitevin.
Cette difficulté à citer la Vienne est présente aussi dans les titres d’ouvrages savants.
Paysages en mémoire en Poitou et en Charentes, travail collectif et interdisciplinaire de l’Université de Poitiers s’intéressant à des paysages situés dans le département de la Vienne et de la Charente-Maritime, ne fait pas référence à la Vienne dans son titre.
La Vienne, pays du Futuroscope
Le parc du Futuroscope est le moteur du tourisme de la Vienne. Situé sur l’axe routier et ferroviaire principal du département, à proximité de Poitiers, le parc d’attraction est devenu son principal vecteur identitaire, sans pour autant créer d’images réelles ou mentales de paysages.
Le seul guide touristique émanant d’un éditeur d’audience nationale traitant du département de la Vienne pour lui-même, celui du Petit Futé sous-titré « Carnet de voyage », présente en couverture une image commerciale centrée sur le KineMAX du parc du Futuroscope. En bandeau, en haut de la page, c’est l’emprise du parc qui est représentée. La vue aérienne montre des parkings et bâtiments au premier plan qui laissent ensuite la place au loin à l’étendue d’un plateau boisé et cultivé peu mis en valeur, l’ensemble donnant une image guère flatteuse et réductrice des paysages de la Vienne.