Le territoire, des origines au XVIe siècle

Comme le Poitou auquel la Vienne se rattache, les paysages départementaux s’inscrivent dans des ensembles plus vastes.

    Les paysages départementaux s’inscrivent dans des ensembles plus vastes

    Des frontières départementales plus administratives que paysagères

    On passe souvent de la Vienne aux départements limitrophes sans s’en rendre compte. Cela n’a rien d’exceptionnel, les départements constituant un maillage du territoire national qui ne peut reposer que partiellement sur des entités administratives anciennes en général davantage en lien avec les paysages. Voir le chapitre consacré à la délimitation des unités de paysage et aux unités frontalières.

    Fruit d’un découpage ni tout à fait arbitraire ni tout à fait fondé sur des critères historiques ou géographiques, la Vienne, avec son chef-lieu assez central, se situe dans la moyenne des départements français. Ses paysages s’inscrivent dans différents ensembles régionaux mais pas son administration qui n’a jamais été vraiment fractionnée. A peu de choses près, des Gaulois à aujourd’hui, la Vienne a toujours été unifiée à l’intérieur d’une seule entité administrative plus vaste : Pictons, comtes du Poitou, représentants de la couronne royale, Etat, régions… Flottant à l’intérieur de ces entités successives assez bien caractérisées, le territoire actuel de la Vienne est à la fois cohérent et difficile à identifier.
     

    Cette simple carte des frontières départementales révèle quelques aspects du territoire. Outre les continuités qui se devinent le long de la majeure partie de la frontière départementale, l’excroissance que forme le Loudunais vers le nord-ouest relie le département aux paysages de la Loire. Le relief esquissé et le tracé des infrastructures montrent l’axe privilégié NE - SW déterminé par le seuil du Poitou, lequel favorise la traversée du département entre les collines des Deux-Sèvres et le Massif central.

    Vienne, Poitou, Charentes, Aquitaine : on s’y perd un peu

    Paradoxalement, si l’histoire du territoire est peu différenciée, l’dentification de la Vienne est parfois difficile.
    En effet, à part le nord-ouest (Mirebeau, Loudun) un temps rattaché au Saumurois, l’histoire du département se confond largement avec celle du Poitou. Mais dans le langage courant, les noms d’entités historiques (Poitou, Haut-Poitou) ou de régions administratives aux contours variables (Poitou-Charentes, Nouvelle Aquitaine) sont souvent associés au nom du département de la Vienne. Or, si ces ensembles englobent tous, à peu de choses près, le territoire départemental, leurs limites pas toujours bien connues ne facilitent pas l’identification des lieux.

    Certaines recompositions administratives ont brouillé encore la compréhension des choses. La Vendée, bien que poitevine, n’était pas en Poitou-Charentes mais en Pays de Loire où elle se trouve toujours, tandis que les quatre départements de Poitou-Charentes ont intégré la région Nouvelle Aquitaine. Pourtant, la Vienne et les Deux-Sèvres continuent de se réclamer du Poitou, au point d’avoir créé une marque, «  Poitou  » en 2016, qui en exclue la Vendée…

    Ces transferts entre régions et ces imprécisions sont source de confusion, comme en témoigne le site Internet de la commune de Moncontour (mars 2022) qui indique : «  Moncontour est un village français, situé dans le département de la Vienne et la région Aquitaine-Limousin - Poitou-Charentes.  »

     

     

    En témoignent également les recherches sur Internet : quand on fait une recherche à partir du mot «  Poitou  » (jusqu’en avril 2022 ), Google propose en premier «  Poitou-Charentes  » avec cette phrase : «  Poitou-Charentes était une région de transit sur l’axe Paris-Bordeaux et Centre-Europe Atlantique  ».

    Pour le mot «  Vienne  », les résultats du moteur de recherche privilégient une ville des bords du Rhône ou du Danube, les liens concernant le département arrivant après et souvent en concurrence avec la Haute-Vienne…

    Mirebalais et Loudunais, pictaves mais pas poitevins ?

    On a tendance aujourd’hui à associer toute la Vienne au Poitou. Or, si Loudun et Mirebeau sont bien à l’origine des cités pictaves comme le reste de la Vienne, à l’époque des comtes du Poitou, le Loudunais et le Mirebalais ont été des subdivisions successivement de la Touraine puis de l’Anjou (XIe-XIIe siècles). A Loudun, la Tour Carrée (initialement construite au XIIe siècle) témoigne de cette époque où Loudunais et Poitevins pouvaient s’opposer militairement.

    Les comtes du Poitou abandonnent leur pouvoir au roi au début du XVe siècle. A partir de 1440 ce sont des gouverneurs de province qui les remplacent et c’est en 1476 que le Loudunais est rattaché par Louis XI à la couronne de France. Le Loudunais devient un bailliage puis, sous François 1er, une sénéchaussée. Bien que plus au sud, Mirebeau sera rattaché à la sénéchaussée de Saumur, avec Richelieu et Moncontour. Le regroupement de l’Anjou, du Maine et de la Touraine fera passer le Loudunais et le Mirebalais dans la Généralité de Tours en 1542.

    Quels que soient les changements d’organisation des territoires, la séparation administrative de Loudun et Mirebeau vis-à-vis du Poitou restera de mise jusqu’à la création des départements lors de la Révolution. Un département regroupant Saumur et Loudun est un temps envisagé avant de fixer les frontières actuelles rattachant Saumur au Maine-et-Loire, et Loudun et Mirebeau à la Vienne.

    Sans remettre en question l’unité historique du département, ce rattachement temporaire du Loudunais et du Mirebalais aux administrations ligériennes a provoqué quelques querelles locales, sans grandes conséquences paysagères.

    Complétant le rattachement du Loudunais et du Mirebalais lors de la création du département, quelques communes non poitevines de la bordure est aux espaces limités et peu peuplés et appartenant précédemment soit à la Marche (Thollet, Coulonges, Luchapt, Asnières-sur-Blour, Availles-Limouzine), soit à la Touraine (La Roche-Posay, Coussay-les-Bois, Lésigny, Mairé, Leugny, Saint-Rémy-sur-Creuse, Buxeuil) ont également été intégrées à la Vienne.

    Un territoire cohérent de longue date

    Échanges et peuplements importants dès la préhistoire

    Les gravures paléolithiques de la vallée de la Gartempe (Roc aux Sorciers à Angles-sur-l’Anglin) ou les plaques gravées de la vallée de la Vienne (grotte de la Marche à Lussac-les-Châteaux) font partie des sites majeurs de l’art magdalénien (15 000 ans environ avant le présent). Mais nombre d’autres traces du Paléolithique, y compris des périodes plus anciennes, montrent que le département a été assez largement occupé pendant la préhistoire. Les archéologues ont ainsi trouvé des vestiges d’industries d’alluvions, de plein air (c’est à dire de surface) ou de grottes (karst).
    Les vallées de la Vienne et de Gartempe étaient ainsi déjà peuplées à la fin du Paléolithique et au Mésolithique.

     

    Outre les bouquetins qui dominent sur cette gravure, de nombreuses représentations de chevaux ont été découvertes dans le département sur les parois ou le mobilier de différents sites.

    Un Néolithique particulièrement actif

    Par leurs dimensions et leur architecture en pierre, les tumuli de Bougon, construits il y a 6000 ans dans les Deux-Sèvres, mais à moins de 5 km de la frontière de la Vienne, inaugurent une vocation pour les sites bâtis remarquables qu’on retrouve ensuite dans la Vienne à travers les âges.
    Les nombreuses implantations néolithiques, et particulièrement le mégalithisme ont plus tard essaimé sur tout le territoire, montrant une relative densité de l’habitat dès le 5e millénaire (Néolithique moyen), qui restera continue jusqu’aux âges des métaux (campaniformes et âge du Bronze au 3e millénaire puis âge du Fer au 1er millénaire).
    Ces installations sont probablement associées aux premiers défrichements et à l’accroissement des échanges.

     

    Protohistoire : toute la Vienne est d’abord pictave

    L’âge de Fer, et plus particulièrement l’époque gauloise, à partir du milieu du 1er millénaire av. J.-C., est déterminante pour la formation des paysages et la structuration des territoires.

    Le développement de l’agriculture, conséquence de différentes améliorations techniques apportées par l’usage du fer, la généralisation des meules rotatives, etc., permet l’accroissement de la population. Les fermes deviennent plus nombreuses, des routes sont créées.

    D’après les archéologues «  les territoires gaulois étaient non pas couverts de forêts, mais de campagnes bien entretenues et densément peuplées.  » (Inrap)

    Cela concerne la majorité des campagnes gauloises, tant sur les plateaux qu’en vallée. Dans la Vienne, des vestiges d’installations gauloises sont nombreux et des concentrations d’habitat sont notamment relevées le long de la vallée du Clain.

     

    L’augmentation de la population s’accompagne d’une hiérarchisation sociale : fermes de différentes tailles, mise en réseau de villages et de hameaux, apparition de villes, notamment sur les oppida comme c’est le cas pour Poitiers (voir ci-dessous).

    L’organisation en peuples et tribus aux territoires relativement bien délimités, surtout racontée par les Romains et cartographiée à partir de leurs récits, est un autre aspect de l’évolution gauloise. C’est ainsi en tout cas que l’unité de la Vienne apparaît dès les premiers découpages connus de la Gaule, son territoire étant entièrement inclus dans celui des Pictaves [1], dont sont issus les noms de «  Poitou  » et de «  Poitiers  ».

    Cette unité de la Vienne à l’intérieur des subdivisions gauloises sera conservée lors de la romanisation. D’abord partie de la Gaule celtique, le territoire pictave sera intégré en 27 av. J.-C. à la province Aquitaine. Lors de la subdivision de l’Aquitaine au IIIe siècle, il passera en Aquitaine Seconde.

    Pour l’essentiel, l’histoire va ensuite confirmer cette unité territoriale jusqu’à aujourd’hui.

    Au sud de la Vienne, les Santones (Saintonge) ont été souvent liés aux Pictaves, notamment lors de la subdivision de la Gaule du temps de César, avant l’extension de l’Aquitaine au Ier siècle ap. J.-C.

    Les limites de l’Aquitaine Seconde englobent celles de l’actuel département de la Vienne sur cette carte assez détaillée des peuples et tribus gauloises au IIIe siècle. Poitiers (Limonum) est indiquée.

    Poitiers, déjà capitale

    Dès avant l’antiquité, Poitiers fait partie des villes importantes en Gaule.
    Et si, depuis, la ville a connu un développement modéré par rapport à d’autres capitales régionales, elle reste un point d’ancrage. Chacun sait où est Poitiers. La ville fait partie des repères des Français dès le début de la scolarité.

    L’oppidum de Lemonum (nom romain de Poitiers) était situé sur un vaste promontoire au confluent du Clain et de la Boivre, autrement dit au centre-ville actuel. Cette position en hauteur, et non pas en vallée comme la plupart des grandes villes actuelles, renforce son ancrage historique, tandis que l’absence d’un important cours d’eau navigable a sans doute contribué à retenir l’extension urbaine des XIXe et XXe siècles.

    De nombreuses villes ou sites bâtis de longue date

    Après les mégalithes, les fermes fortifiées et les premières villes, un nombre important de sites sont bâtis pendant l’antiquité et le Moyen Age.

    La majorité des sites se trouve le long du Clain ou entre la Vienne et la Gartempe. Cependant, parmi les sites plus excentrés, ceux de Vendeuvre et de Sanxay sont particulièrement importants et reflètent la présence d’une population nombreuse.

     

     

    Wisigoths, musulmans et protestants buttent sur la Vienne

    Les établissements romains vont subir des dégradations vers la fin de l’Empire avec les grandes invasions. D’importants sites sont abandonnés, mais les Wisigoths ne s’imposent pas vraiment sur le plan culturel et le territoire de la Vienne va commencer à se structurer dès le début de christianisation. L’abbaye de Ligugé fondée en 361 est ainsi considérée comme l’une des plus anciennes de France.

     

     

    Les Wisigoths qui régnèrent sur l’Aquitaine au Ve siècle ne semblent pas avoir eu le temps d’imposer leur marque, et leur défaite à Vouillé en 507 contre Clovis confirme le lent mouvement historique vers un Moyen Age Chrétien qui s’imposera progressivement au VIe et VIIe siècles. C’est à cette époque que les églises remplacent les temples païens, que les vici romains deviennent des paroisses.

    Bien que le lieu exact et l’importance historique en soient toujours discutés, la bataille dite de Poitiers (commémorée par un site touristique à Vouneuil-sur-Vienne) remportée en 732 par Charles Martel est une date majeure du récit historique contemporain consacrant la domination franque puis carolingienne, et repoussant les influences musulmanes au profit de la chrétienté. Dès lors l’organisation du territoire en paroisses va se poursuivre et accompagner la féodalité.

    Sur un plan plus administratif, Charlemagne institue les Comtes du Poitou à partir de 778. Suit une longue histoire qui met souvent aux prises les Anglais et les Français, avec notamment Aliénor d’Aquitaine (1122-1204), illustre viennoise, comtesse du Poitou, successivement reine de France et d’Angleterre au gré de ses mariages. Les rivalités franco-anglaises se poursuivront au XIIIe siècle et s’envenimeront au XIVe avec la guerre de Cent Ans.
    De ce passé conflictuel, le territoire de la Vienne garde quelques traces dans ses paysages. Ainsi, la Tour Carrée de Loudun, initialement érigée au Xe puis reconstruite au XIe siècle et à nouveau au XIIe siècle par le roi d’Angleterre afin de se protéger des comtes du Poitou. Mais dans l’ensemble, le paysage départemental reste moins marqué par l’architecture défensive que par celle des églises.

    Culture du nord ou du sud ? Tuiles romaines et langue d’oïl

    Entre bassins aquitain et parisien, entre régions littorales et montagneuses, la Vienne est logiquement observée pour y trouver des lignes de partage entre France du Nord et du Sud, entre paysages atlantiques et continentaux, tant en ce qui concerne les éléments naturels que la culture.

    Le résultat est plutôt intermédiaire, et différent selon les critères.

    Les tuiles romaines dominent dans le Sud du département, les tuiles plates et les ardoises dans le Nord, mais ce sont seulement des tendances. Ainsi, au nord de Châtellerault, on trouve surtout des tuiles plates à Vaux-sur-Vienne, des ardoises à Dangé-Saint-Romain et les tuiles canal l’emportent à Sammarçolles, dans le Loudunais. A Civray, tout au sud, les ardoises sont majoritaires. La prééminence d’un élément architectural peut donc être très locale, elle dépend également, dans une même ville, du type de bâtiment, des dates de construction ou de réhabilitation du bâti.

    Comme son nom l’indique, le poitevin-saintongeais -ancienne langue régionale- prévalait dans le Poitou et la Saintonge et donc dans le département de la Vienne. Il est rattaché aux langues d’oïl mais intègre quelques emprunts occitans au sud, angevins au nord et des parlers centraux au nord-est. Jusqu’à l’adoption d’un français plus uniforme, à partir du XVIe siècle, la limite entre langues d’oïl et d’oc est considérée comme une limite culturelle importante.

    L’architecture romane, élément d’ancrage du département

    Parmi les traits culturels mis en place durant le Moyen Age figurent les églises romanes, qui sont une des caractéristiques de la Vienne, assez réparties sur tout le département et dont un nombre important sont encore remarquables aujourd’hui. Leur concentration peut avoir résulté de la présence de deux itinéraires vers Compostelle traversant le département : en remontant le Clain jusqu’à Ligugé puis en bifurquant vers Lusignan pour rejoindre Saintes pour l’un ; en remontant la Gartempe jusqu’à Montmorillon puis vers Lussac-les-Châteaux, L’Isle-Jourdain et Charroux pour l’autre.

    Le Poitou s’abime dans les guerres de Religions

    A la fin du XVIe siècle, les guerres de Religions font basculer le Poitou dans le protestantisme. Poitiers devient protestant dès la première guerre de Religion en 1562. En 1569, les catholiques prennent le dessus à Moncontour dans une bataille qui fait des milliers de victimes. Soutenus par le roi, ils reprennent les principales villes de la Vienne (Châtellerault,  Lusignan) la même année. La guerre reprend ensuite en 1574, et de manière violente à Lusignan en 1575, et se poursuit jusqu’à la fin du XVIe siècle, Poitiers étant à de nombreuses reprises le théâtre d’affrontements et de retournements.

    Le conflit perdurera en réalité jusqu’au début du XVIIe siècle, sous le règne de Louis XIII. Les églises des calvinistes finiront d’être détruites à Poitiers à partir des années 1630 avec l’affirmation du pouvoir royal instrumentalisée par les «  Grands Jours  », forme de délocalisation du pouvoir judiciaire largement utilisée à Poitiers pour y affirmer le pouvoir royal. De ce demi-siècle mouvementé sur le plan historique, probablement plus destructeur que bâtisseur, le paysage garde peu de traces.

     

              

    [1] Également appelés Pictons, Pictones en latin, voire Pictes, bien que cette dernière appellation soit source de confusion, les Pictes étant également le nom donné aux Ecossais de la même époque.

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    Eléments de toponymie

    Les sites mégalithiques de la Vienne