Lire un paysage, l’approche sensible

    Le paysage étant une « partie d'un pays que la nature présente à un observateur" (Petit Robert), cela implique de s’intéresser aux perceptions que nous offrent nos sens : lorsque nous sommes face à un paysage que ressent-on nous ?

    5 sens pour ressentir

    Savoir lire un paysage, c’est d’abord le ressentir dans son ensemble. Les paysages s’appréhendent par la vue, mais également par le toucher (textures, chaleur, froid, humidité…), l’odorat, l’ouïe (le bruit, les sons, le calme) et le goût (les baies et les fruits, la cuisine du terroir). Si le toucher et le goût sont des sens de proximité, l’ouïe, l’odorat et la vue nous permettent d’analyser notre environnement plus large. L’odorat est un sens qui laisse une prégnance longue qui a une capacité à nous faire remonter dans l’espace et le temps (la madeleine de Proust). La vue reste toutefois notre sens dominant pour appréhender notre environnement.

    L’appareil oculaire est ainsi conçu que seule une petite partie de la rétine, qui tapisse le fond de l’œil, permet de voir en couleur et en relief. Ce qui fait que pour percevoir un paysage, notre regard l’explore par d’incessants mouvements de balayage de cette vision dite «  focale  ». Lors de cette exploration, des signaux privilégiés attirent son attention ; ce sont autant d’appels visuels que l’on peut recenser. Ainsi, les formes dominantes du relief, les limites visuelles qui arrêtent le regard (une lisière, l’alignement des façades dans la rue) constituent les lignes de force du paysage, le regard se concentre aussi sur les points d’appels visuels qui l’attirent (un château, un clocher…). Les éléments répétitifs qui donnent un rythme (un alignement d’arbres, les arcades d’un pont), ou encore les textures ou les couleurs dominantes sont des appels visuels fondamentaux qui fondent la lecture d’un paysage.

    La portée du regard et les plans successifs

    La profondeur du regard est une donnée très variable. Le contexte naturel a une incidence non négligeable sur la profondeur perçue (conditions atmosphériques, obstacles liés au relief...) Toutefois, on peut considérer que la portée maximale du regard peut atteindre une dizaine de kilomètres… par temps clair évidement. Certains objets de grande hauteur, telles les éoliennes, peuvent toutefois être perçus à plus de vingt kilomètres dans de bonnes conditions météorologiques.

    Lorsque l’on observe un paysage, plusieurs plans successifs se détachent selon la profondeur de la vue :
    • Le premier plan permet d’apprécier le paysage avec tous ses sens, il permet une vision dans le détail. Il offre des contrastes forts d’ombre et de lumière, de couleurs, il permet de saisir des textures, les odeurs... Le soin apporté à l’aménagement du premier plan est important pour la qualité d’un belvédère.
    • Le deuxième plan révèle les modes d’occupations du paysage. Il permet d’observer les couleurs, textures, rythmes, points d’appels, contrastes et transitions ...
    • L’arrière-plan, celui de la ligne d’horizon, offre un panorama général, les couleurs ternissent et se fondent. Il permet d’appréhender le relief, la ligne d’une crête, la silhouette d’un village…

    Le cadrage

    Le champ visuel est la portion d'espace perçue par la vision. Lorsque que notre tête et nos yeux sont fixes, l'angle de vision humaine est proche de 130° horizontalement et de 75° verticalement, mais l'œil mobile permet une vision plus large balayée sur 180°horizontalement.

    Tout regard induit un cadrage, déterminé par les limites de notre champ visuel. D’autres cadrages peuvent déterminer la vision d’un paysage : le pare-brise d’une voiture, les fenêtres, les façades d’une rue, etc. L’appareil oculaire apprécie tout particulièrement les visions cadrées qui lui permettent de bien saisir des fragments de paysages ainsi isolés de l’étendue du champ visuel.
    Fatalement, le regard, dans sa course, bute sur des obstacles qu’il ne peut franchir. Ces limites visuelles structurent le paysage perçu et délimitent des cadrages et des « espaces visuels ». Ainsi, les crêtes d’un relief constituent des limites visuelles fortes, qui bornent l’horizon.

    L'échelle

    Regarder un paysage, c'est aussi prendre conscience de ses dimensions. Le cerveau analyse et compare les éléments regardés et permet d'apprécier les distances entre les objets. On peut évaluer la taille d'un arbre, d'un relief en mettant un homme à côté par exemple. Le respect du rapport d’échelle entre éléments d’un paysage est une condition de son bon «  équilibre visuel ». L’estimation de «  l’échelle d’un paysage  » est importante, car elle permet, ensuite, de proposer des équipements qui ne soient ni démesurés ni mesquins.

    Les lignes de force du paysage

    Les lignes de force du paysage focalisent et guident le regard. Ce sont des éléments prépondérants ayant une échelle suffisante pour marquer le paysage, être identifiables visuellement, donc reconnus. Il peut ainsi s’agir d’un coteau, d’un front boisé, d’un fleuve ou d’une infrastructure importante... Les lignes de force du paysage conduisent le regard, ces lignes sont les premières que nous suivons des yeux quand nous regardons un paysage. Le regard glissant sur la ligne de force des versants va également s’attarder sur la rivière qui scintille en fond de vallée. Alors il empruntera cet « axe visuel » pour découvrir l’arrière-fond et y reviendra sans cesse. En prendre conscience est important car ces lignes de forces structurent la perception du paysage et doivent être prises en compte dans tout projet d’aménagement du territoire, afin de ne pas les contrarier mais, au contraire, de se caler sur elles et de renforcer ainsi la lisibilité du paysage

    Les points d’appels visuels

    Certains éléments du paysage attirent le regard qui prend plus de temps pour les examiner et y revient malgré lui. Ainsi une verticale comme celle de ce clocher, la silhouette d’un arbre isolé, sont autant de points de repère que tout le monde remarquera. Ces points d’appels sont à prendre en compte afin de ne pas les dénaturer et, au contraire, de renforcer leur influence visuelle. Parfois, en revanche, l’œil est attiré par des éléments disgracieux qu’il faut alors résorber.

    Les couleurs et les textures

    La couleur vient de la lumière. Elle joue un rôle important, elle révèle les formes d’un paysage, singularisé par des tonalités dominantes de sa géologie, de sa couverture végétale, des cultures et des architectures.
    La « texture » désigne cette sorte de peau du paysage, dont le grain est mis en évidence par la lumière. Ainsi un sol caillouteux a une texture moins régulière qu’un sol sableux, où le moutonnement des frondaisons d’une forêt feuillue se distingue nettement du graphisme plus hérissé d’une plantation de conifères.

    Les rythmes

    La répétition à intervalles réguliers d’éléments similaires confère à certains paysages leur unicité et leur singularité. Cela peut être un élément de relief (succession de collines et de vallons) un élément arboré (haies, alignement d’arbres, lignes des cultures ou des vignes) ou un élément bâti (piliers d’une halle, arches du pont…) Le rythme donné par ces répétitions attire les regards et donne une force singulière au paysage.

    Les contrastes

    Le contraste est une des bases de la perception, il attire l’attention sur deux éléments du paysage qui se mettent en évidence l’un par rapport à l’autre. Ainsi la rigidité des versants contraste avec la fluidité de la rivière et avec l’à-plat de la plaine alluviale. L’effet de contraste peut être positif mais aussi négatif lorsqu’il met l’accent sur un élément qui se détache de façon déplaisante ou trop brutale avec le reste du paysage. Ainsi, un hangar volumineux peut contraster de façon trop forte avec le reste du corps de ferme et nécessiter alors une transition pour adoucir ce rapport.

    La lisibilité et le brouillage

    Pouvoir appréhender facilement l’organisation d’un paysage permet d’en garder une image forte et plaisante. Et cela tient tout à la fois à l’existence de points de repère qui permettent de bien s’y situer à tout moment, au regroupement en un nombre limité d’ensembles d’éléments visuels par effet de ressemblance (alignement d’arbres, regroupement d’habitations de couleurs et de formes similaires, types de cultures ...) et, mais cela est plus subtil, d’une relation logique entre l’organisation perçue de ce paysage et son contexte naturel et social. La lisibilité découle de rapports harmonieux qui s’établissent entre ses différentes composantes. Ce sont ces rapports secrets qui influencent profondément le jugement porté sur un paysage et qui font que certains sont célèbres et unanimement reconnus et appréciés, et d’autres, rejetés.

    Ce concept de lisibilité qui, finalement, traduit un certain sentiment de confort visuel chez l’observateur d’un paysage, peut être un guide précieux pour celui qui souhaite affirmer l’identité d’un paysage et la cohérence de ses ambiances.

    A l’opposé, certains paysages apparaissent brouillés et semblent ainsi perdre toute qualité. Ce sont par exemple les paysages des entrées d’agglomération où constructions, parcelles agricoles et enseignes commerciales se mêlent sans logique apparente.

    L’harmonie et l’esprit du lieu

    L’harmonie d’un paysage découle manifestement d’un mode d’agencement entre ses constituants, de sorte que chacun concoure à un même effet d’ensemble et que la qualité de chaque élément soit associée à la perfection de la composition d’ensemble. Cet ensemble de vieilles maisons reflétées par la rivière s’agence à la façon d’une phrase musicale et affirme l’identité d’un lieu qui le fait considérer comme pittoresque. On souhaite en conserver l’image.

    L’esprit du lieu tient parfois à ce qui ne semble n’être que des détails : la pierre qui pave le sol, l’arbre qui ombrage la place, l’ombre fraiche des arcades où s’abrite la terrasse du café, les façades alignées qui prennent le soleil…

    L’identité et la typicité

    Un paysage devrait pouvoir être identifié par des caractéristiques qui le distinguent des autres, ou alors l’apparentent à un type particulier. Avant le XIXe siècle, c’était vrai pour la plupart des paysages ruraux français, qui reflétaient les particularités de leur contexte naturel et de leurs habitants. Puis, la mécanisation et l’économie de marché élargie à la dimension de la planète ont contribué à banaliser et uniformiser la plupart d’entre eux. La France est pourtant riche encore d’une grande variété de paysages qui suscitent une image forte chez tous les observateurs. L’identité d’un lieu, d’un paysage est liée à la singularité de ses éléments, à la manière dont ils s’agencent et au génie qui a permis de les mettre en valeur. Chaque commune possède ainsi des éléments qui lui sont propres et lui donnent sa personnalité. Comme dans les débats concernant l’évolution de notre société, la notion d’identité n’est pas à prendre sous l’angle du «  repli identitaire  » qui exclurait toute évolution. La création contemporaine peut contribuer à donner une nouvelle identité à un paysage, à une commune, encore faut-il qu’elle en ait l’ambition.