Les paysages bâtis de la Vienne

    Le département de la Vienne recèle une belle variété de paysages bâtis. Il y a les ensembles monumentaux exceptionnels qui sont connus, comme Chauvigny, St-Savin, Angles-sur-l’Anglin,… où un village s’est constitué au fil des siècles, autour d’un édifice remarquable. Mais ces lieux de grande notoriété ne doivent pas cacher toute la diversité des paysages bâtis. En effet, le territoire est jalonné de villages et de villes qui ont su conserver une forme urbaine constituée et un bâti homogène, relativement entretenu. Sans doute que la préservation des terres agricoles a motivé ces implantations des bâtiments à l’alignement de la rue, avec des volumes élevés, de 2 ou 3 niveaux, construits en mitoyenneté. Cela a produit des quartiers denses et des perspectives urbaines, même quand il ne s’agit que de hameaux. Ainsi, le département est riche de paysages bâtis de qualité, qu’ils soient connus ou au contraire un peu délaissés.

    Plusieurs paramètres contribuent à cette qualité : en premier lieu les rivières et leurs vallées qui ont contraint les bourgs à s’implanter sur versant, ce qui a généré des architectures de pente, assez inattendues dans ce département à la topographie modeste. Elles ont également façonné une relation à la berge et au pont, ce qui a induit des formes urbaines originales. Le second paramètre qui a influencé la composition de ces paysages bâtis est le maillage des routes, des chemins, expression de l’organisation sociale du territoire, qui convergeaient vers les bourgs et leurs places centrales. Le troisième paramètre est le calcaire tellement présent dans ces paysages. Le patrimoine a également une forte présence même s’il est parfois discret. Le dernier paramètre moins visible, reste important : c’est la capacité à inventer et à accueillir des formes urbaines et des architectures contemporaines aussi qualitatives que le bâti ancien. Comme partout ailleurs en France, il y a aussi des paysages banalisés, sans qualité, mais ce n’est pas une originalité ni une caractéristique propre à la Vienne. Cet aspect est traité dans les dynamiques, il n’a pas lieu d’en faire un paragraphe dans ce portrait du département.

    Des paysages urbains en pente

    C’est une surprise, dans ce département où l’altitude culmine à 231m, de découvrir un si grand nombre de villes, grandes et petites, de bourgs et villages implantés dans la pente. La raison de ces sites à la topographie marquée tient à l’attractivité des rivières et de leurs vallées. Poitiers, sur son plateau en est un bel exemple avec ses quartiers qui tantôt s’inclinent à l’est vers la vallée du Clain, tantôt à l’ouest, vers la vallée de la Boivre. Ce ne sont pas des pentes vertigineuses mais comme les bâtiments ont besoin d’une assise horizontale, il faut accorder les constructions à la topographie. Chaque bâtiment de la rue va s’adapter avec ses particularités propres. C’est pourquoi, les fenêtres, les corniches, voir les balcons et la toiture, tous les éléments d’architecture se décalent un peu, à chaque maison, en fonction de la situation de la porte et de son niveau de seuil. Un autre effet de la pente est de souvent donner un tracé courbe, tout au moins souple aux rues qui desservent ces versants.

    Ces efforts d’adaptation façonnent des paysages bâtis de grande qualité, que l’on peut contempler de loin, par exemple du versant opposé ou bien d’en haut, mais que l’on peut également apprécier de près, en vues rapprochées, en arpentant les rues, où l’on découvre des perspectives urbaines pleines de charme et de détails architecturaux.

    Ce travail d’adaptation à la pente se remarque également dans le bâti rural.

    Une autre caractéristique des ensembles bâtis implantés sur versant tient à la nécessité de ralentir de temps en temps la pente, pour aménager sur l’espace public, un plan horizontal, placette ou parvis. Ces aménagements se traduisent par d’imposants soutènements, ils offrent, en contrepartie,  l’opportunité d’un point de vue dominant. Pour le promeneur qui passe de la rue à la place, ou le contraire, la différence d’altimétrie est souvent étonnante.  

    En regardant de près les bâtiments, on quitte l’échelle du paysage bâti, on aborde  l’architecture. Pour autant, il est à noter que dans certaines situations le bâtiment, qui introduit des horizontales dans le paysage, « révèle » la pente, la rend plus lisible, en facilite la perception, de la même manière que les viaducs expriment l’encaissement d’une vallée.

    Les villes et leurs rivières

    Comme rappelé dans le paragraphe précédent, nombre de villes se sont installées près des rivières. Les paysages bâtis qui en résultent présentent beaucoup de diversités qui tiennent au profil de la vallée, à l’importance de la rivière, à la proximité de l’eau, à la présence d’une confluence.

    Par exemple, sur la Vienne, trois cas de figures différents : Châtellerault s’est établi de part et d’autre de la rivière, pourtant large, tandis que Chauvigny s’est développé en rive droite dans un vallon affluent et n’a qu’un contact serré avec la Vienne, tout comme l’Isle - Jourdain.

    Pour mieux comprendre ces formes urbaines, il est intéressant d’observer les cadastres anciens, dits napoléoniens. Ce sont des documents datant de presque 200 ans. Ils témoignent de la structure ancienne des villes et facilitent la compréhension de leur évolution.

    Sur les rivières au cours sinueux, la rivière semble quelquefois embrasser la ville, comme si elle démultipliait ses bras d’eau. Cette impression est le fait de confluences ou de canaux qui complètent le cours d’eau principal. C’est le cas de Vivonne par exemple, traversé par le ruisseau du Palais, affluent du Clain et bordé par la Vonne, qui elle -même se jette dans le Clain. Cela donne de petits ponts et des promenades au bord de l’eau en continuité de la ville. L’impression est semblable à Vouillé, où l’Auxance  traverse la ville divisée en 3 bras différents.

    Dans le département, il n’y a pas de grandes façades urbaines en rive, excepté Châtellerault comme évoqué précédemment. Le point de contact avec la rivière s’établit au niveau d’un quartier, lié à un ancien port ou à un pont et la ville se développe en second rideau, à distance de la berge, ou sur une terrasse.

    Sur ces points de contact entre rivière et ville ou village, il reste quelquefois un petit patrimoine rural, ancien moulin, ancien lavoir, qui témoigne des activités révolues en bord de rivière.

    Mis à part ces fronts bâtis peu importants, on rencontre quelques maisons de maître, établies en rive, protégées des eaux par des murs de soutènements. Mais, le plus souvent ce sont des jardins, privés ou des promenades publiques qui assurent la transition, l’interface entre la rivière et les maisons. Sans doute, ces jardins servaient-ils à accueillir et contenir les débordements de la rivière. Ces premiers plans de jardins forment un joli socle pour les silhouettes bâties qu’ils précèdent.

    Et dans la continuité de ces anciens « jardins de ville », prennent place des parcelles de jardins potagers, plus récemment l’aménagement de nouveaux espaces récréatifs, reliant le cœur de village et le bord de la rivière.

    De la route à la place du village

    Le réseau routier du département est constitué par un maillage de voies, principales et secondaires et de chemins ruraux, qui dessert l’ensemble du territoire. Mais ce qui retient l’attention dans la Vienne, c’est d’une part que la maille est serrée et d’autre part elle est oblique, plutôt en forme de losange. Cette organisation des voies a composé des villages et des bourgs en forme de carrefours, vers lesquels convergent de manière rayonnante un grand nombre de routes.  Ce principe de desserte s’applique pour des centres importants comme Loudun, Mirebeau qui sont desservis ainsi par un système en étoile avec des branches qui correspondent aux grandes routes de transit et des branches qui correspondent à des routes de desserte locale.  Quand il y a une rivière à franchir les routes se rassemblent en amont du pont.

    Pour ces grandes villes, les routes participent à la composition mais elles n’impactent pas directement l’organisation du cœur de ville. Tandis que pour des communes plus modestes, cette convergence de routes se poursuit jusqu’à la rencontre au centre même du village, ce qui produit des villages-carrefours.  Non que la voiture occupe tout l’espace, mais la forme urbaine s’est structurée à partir de cette convergence en libérant au centre une place, lieu de rencontre, et quelquefois lieu de marché. Un très bel exemple est Neuville du-Poitou où la place centrale a pris une géométrie triangulaire très particulière.

    La forme de la ville, le tracé des rues, la géométrie de la place varient beaucoup. Les places anciennes de villages modestes ont souvent des formes irrégulières, elles sont  directement déduites de la convergence des rues. Si les routes se croisent de biais, la place est plutôt triangulaire, si elles se rencontrent à l’équerre, la place est plutôt rectangulaire

    A l’inverse, les grandes places aménagées plus tardivement, courant du XIXème siècle ou plus tard, prennent des géométries plus régulières, elles s’adossent à la rue principale comme à Lussac-les-châteaux, Pleumartin, Vouneuil-sur-Vienne, Bonneuil-Matours, Gençay. Elles sont dimensionnées pour accueillir les marchés, les foires, les commémorations, et sont bordées par des alignements d’arbres. Aujourd’hui, elles servent pour une partie de la superficie, d’aire de stationnement.

    Certains villages ou bourgs ont conservé ou reconstruit des halles pour accueillir leur marché, tandis que d’anciennes halles ont disparu. Pour en savoir plus lire La halle, place du marché

    Un matériau dominant : le calcaire

    On rencontre d’autres matériaux de construction dans le département que le calcaire mais dans l’ensemble il caractérise fortement les paysages bâtis de la Vienne. D’une part, un grand nombre de monuments qui s’imposent dans le paysage, sont bâtis en calcaire, comme les églises romanes, l’abbaye de St-Savin, les châteaux forts tel celui de Gençay, le donjon de Moncontour, celui de Loudun, … d’autre part, l’architecture rurale, dont les maçonneries ne sont plus enduites, joue également un rôle important.  En effet, dans les faubourgs, les entrées de villages ou bien la traversée des hameaux, le paysage est fortement marqué par la présence de grands murs de pierre, qu’il s’agisse des façades de bâtiments ruraux ou bien de hauts murs qui protègent les cours ou les jardins. Et dans le nord du département, tant à l’est dans la vallée de la Creuse qu’à l’ouest, le calcaire a été creusé pour accueillir un habitat troglodyte ou simplement  des caves.

    Ce sont plusieurs types de calcaire qui sont mis en œuvre, selon les périodes de construction, les éléments d’architecture et les secteurs géographiques. La constante est la couleur claire de la pierre, plus ou moins blanche, grisée ou légèrement ocrée, mais toujours lumineuse quand le soleil éclaire les bâtiments. 

    Selon la dureté du calcaire, la dimension des moellons, leur aspect et leur mise en œuvre diffèrent. Dans le nord du département, intervient le tuffeau(Craie poreuse à grain fin. Le terme peut désigner la roche, la pierre de construction, parfois le sol), pierre blanche qui se retrouve dans la vallée de la Loire. Facile à tailler, le tuffeau(Craie poreuse à grain fin. Le terme peut désigner la roche, la pierre de construction, parfois le sol) est souvent mis en œuvre sous forme de pierre de taille, régulière tandis que d’autres calcaires sont utilisés sous forme de moellons grossièrement taillés. Certaines maçonneries associent deux sortes de pierre, réservant le tuffeau(Craie poreuse à grain fin. Le terme peut désigner la roche, la pierre de construction, parfois le sol) aux encadrements.

    La pierre calcaire est le matériau de construction traditionnel, utilisé tant pour l’architecture monumentale que pour le bâti rural mais elle est également employée pour les ouvrages d’art, le petit patrimoine rural et quelquefois pour le pavage des sols. L’emploi du calcaire au sol concerne soit des quartiers patrimoniaux, soit de nouveaux aménagements urbains réservés aux piétons.

    Le grain du calcaire permet une sculpture fine. C’est ainsi que les édifices romans du département offrent encore à nos regards un monde fantastique et symbolique de personnages, d’animaux ou de décors végétaux exceptionnel. Mais plus la pierre est tendre plus elle est fragile, si bien que les sculptures en tuffeau(Craie poreuse à grain fin. Le terme peut désigner la roche, la pierre de construction, parfois le sol) tendent à s’altérer.

    Il est à noter que le calcaire est encore employé dans l’architecture, en particulier dans les édifices publics, ce qui témoigne de son caractère identitaire. La construction n’est pas complètement en calcaire mais le socle ou bien un pan de mur utilise ce matériau local.

    Mais toutes les constructions du département ne sont toutefois pas en calcaire. Le sud du département proche du limousin est pourvu de pierres différentes qui introduisent dans le bâti une diversité de matières et couleurs.

    Par ailleurs, il est à noter que traditionnellement un enduit cachait ces pierres aujourd’hui visibles. La mode tend à les découvrir bien que les maçonneries n’aient pas toujours été conçues pour affronter les intempéries sans protection. Dans les paysages plus urbains, les enduits se sont maintenus alors qu’ils disparaissent plus souvent dans le bâti rural.

    Un autre paramètre intervient pour « évincer » le calcaire, ce sont les modes en architecture, comme par exemple l’emploi de la brique comme ornement  dans les bâtiments d’entre-deux-guerres. Ces architectures ne sont pas locales, elles sont l’expression soit d’un certain goût à une époque donnée, soit de processus constructifs. Elles sont présentes dans le département et se retrouvent avec le même vocabulaire ailleurs en France.

    Un patrimoine varié

    Des silhouettes épiques

    S’il y a des châteaux qui se nichent au cœur de vastes garennes et passent presque inaperçus, il y en a beaucoup d’autres qui marquent le paysage, soit parce qu’ils s’élèvent haut et se repèrent des kilomètres à la ronde, comme le donjon de Moncontour ou celui de Loudun, soit parce qu’ils dressent leur silhouette en bord de plateau dominant la vallée en contrebas, comme la forteresse de Gençay, le château d’Angles-sur-l’Anglin, le château de Montreuil-Bonnin à Boivre-la-Vallée. Il existe aussi des châteaux en plaine ou en vallée, protégés par des fossés, comme le château de Bourg-Archambault ou de Dissay.

    Un patrimoine religieux remarquable

    La région est connue pour son patrimoine d’églises romanes, dont un certain nombre se trouve dans la Vienne. Il y a des édifices majeurs comme Notre-Dame-la-Grande à Poitiers, St-Nicolas à Civray, la collégiale St-Pierre à Chauvigny, mais beaucoup de villages ou de bourgs possèdent des églises paroissiales dont l’architecture et l’ornementation contribuent à la qualité du paysage bâti et témoigne de l’ancrage historique de la commune.

    Des formes urbaines anciennes

    Un aspect du patrimoine qui magnifie l’architecture et contribue au sentiment d’authenticité mais n’est pas toujours facile à percevoir est le patrimoine urbain, c’est-à-dire la permanence de la forme de la ville ou du village, le maintien des alignements de bâtiments, l’harmonie des toitures, le respect du tracé et de la largeur des rues,…. La forme d’origine est quelquefois le fait d’une enceinte disparue, d’un pont déplacé, d’une place recomposée. L’observation du cadastre ancien montre que ces formes urbaines, c’est-à-dire les plans des villes ou des bourgs ont pu évoluer au gré des projets, elles ne sont pas figées mais peuvent se recomposer au fil du temps.

    Un patrimoine multiple

    Comme le démontrent dans le Montmorillonnais, les missions accomplies par le Pays d’art et d’histoire, le patrimoine est multiple : paysages, architectures savantes ou ordinaires, petit patrimoine, patrimoine industriel, savoir-faire, génie-civil, l’éventail est large de ces témoignages du passé. Ces différents patrimoines s’invitent dans les paysages de la Vienne, interrogent, intriguent et constituent des motifs bâtis, qu’il s’agisse d’une lanterne des morts du moyen-âge, d’un pigeonnier du XVIIème siècle ou d’un ouvrage d’art du XIXème siècle comme les viaducs ferroviaires qui enjambent les nombreuses rivières. 

    Les nouvelles façons de construire et d’habiter

    Comme évoqué dans le paragraphe sur le calcaire, des projets d’architecture contemporaine voient le jour, aussi bien dans les grandes villes que dans les bourgs. La construction n’est pas forcément en pierre, au contraire, dans les contextes patrimoniaux, ce sont plutôt le bois ou le métal qui sont choisis pour dialoguer avec la pierre. Cette présence d’architecture contemporaine renvoie l’image d’un territoire vivant qui, s’il valorise son patrimoine, regarde aussi vers l’avenir. Ce sont principalement des équipements publics qui sont ainsi mis en valeur par un vocabulaire actuel.

    Il y a aussi de nouveaux quartiers. Si l’étalement urbain qui a marqué l’urbanisme des cinquante dernières années dans tout le pays est très représenté dans le département, il est intéressant de repérer des formes d’extension plus récentes, plus compactes, davantage végétalisées qui semblent pouvoir contribuer à économiser les parcelles agricoles.