Représentations culturelles des Terres Rouges Bocagères

Les bourgs des vallées de la Vonne et de la Charente, de manière plus marginale de l’Auxance et de la Boivre représentent les paysages de l'unité.

    De la couleur rouge des terres agricoles mises à nu, du port altier du châtaignier et du bocage qui caractérisent en partie l’unité de paysage, les représentations anciennes et contemporaines font peu de cas. Ce sont les paysages des vallées de la Vonne et de la Charente, de manière plus marginale de l’Auxance et de la Boivre, et surtout les bourgs qui les longent qui font meilleure figure, comme le patrimoine roman, religieux ou castral, d’autant plus s’il est associé à la légende de la fée Mélusine.

    Sous ses diverses formes le bocage est bien constitué sur les massifs anciens de l’ouest et du sud-est ; il les déborde largement dans l’Entre-Plaine-Et-Gâtine, dans les terres de brandes(Les brandes désignent une lande à bruyère à balais où se mêlent plusieurs espèces de bruyères, des ajoncs, des genêts, des fougères et des graminées. Il s'agit d'une lande de déforestation, qui se développe sur des sols pauvres.) au sud de la Vienne, ainsi que dans les terres rouges à châtaigniers. C’est peut-être sur celles-ci que l’on trouve les bocages les plus incroyablement serrés (régions de Rouillé, Lusignan, Saint-Sauvant, Saint-Germier, Prailles, Aigonnay…) avec des champs dont la superficie n’atteint pas un demi-hectare. Les mailles sont beaucoup plus lâches dans les anciens pays de brandes(Les brandes désignent une lande à bruyère à balais où se mêlent plusieurs espèces de bruyères, des ajoncs, des genêts, des fougères et des graminées. Il s'agit d'une lande de déforestation, qui se développe sur des sols pauvres.). »
     

    Haut-Poitou : Deux-Sèvres, Vienne, C. Bonneton, 1983

    Pierre-André Brouillet, un peintre des Terres rouges ?

    Le peintre Pierre-André Brouillet (1857-1914), natif de Charroux, a peint des scènes de genre dont l’arrière-plan est parfois constitué d’un paysage de bocage. Deux tableaux notamment (La Vie simpleL’amour aux champs) de renommée nationale, peuvent évoquer le paysage des Terres rouges bocagères.

     

    La scène de maternité prend place dans un paysage rural au moment des moissons. Derrière les personnages et les champs piqués de meules de paille et de foin en train d’être ramassé, de grandes lignes de haies boisées masquent la lumière d’un champ que l’on devine à peine. Malgré la forte présence des haies et des bois, le regard porte au loin pour se heurter ensuite à la ligne, à l’horizon, d’un relief plus élevé. Cette scène de genre semble s’inspirer pour son décor des paysages des environs de Charroux dont on peut reconnaitre certains traits marquants.

    Lusignan : berceau de la légende mélusine et d’un archétype paysager

    Le monument de l’art du Moyen Âge (1411-1440) que constitue le livre de prières enluminé Les Très Riches Heures du duc de Berry (voir pour l’image en couleur le chapitre « La Vienne des peintres » dans la partie générale de l’Atlas) comprend une représentation du château de Lusignan et du paysage agricole qui l’entoure. Cette image emblématique à la fois du Moyen Âge et de la représentation paysagère inclut la référence à la fée Mélusine dont la légende, très présente dans le Poitou, se décline à l’infini dans toutes les représentations de la ville.

    Lusignan : accordez-vous une pause aux accents celtiques, entre le Futuroscope et le Marais Poitevin, afin de marcher sur les terres historiques de Mélusine, la fée bâtisseuse ».
     

    Office du tourisme de Grand Poitiers

    Deux éditions récentes d’ouvrages consacrés à la légende de Mélusine et à Lusignan. À droite, il s’agit du texte du Moyen Âge (1392-1393) qui fonda la légende de Mélusine et de Lusignan. À gauche, un roman historique (2022) illustré d’un recadrage de l’enluminure des Très Riches Heures du duc de Berry, centrée sur l’aile droite du château au-dessus de laquelle vole Mélusine transformée en serpent. L’image, inversée, est amputée de son premier plan agricole et paysager.

     

    Deux images qui, à des décennies de distance, s’attachent à la belle ambiance de la promenade plantée installée sur les hauteurs de Lusignan.

    Du château, il ne subsiste que les bâtiments occupés par un musée, des salles souterraines et les bases de plusieurs tours d’enceinte. Á son emplacement, fut planté au XVIIIe siècle la promenade Blossac, du nom de l’intendant qui la fit aménager.
    Une allée de tilleuls entourée de jardins conduit à une terrasse d’où se révèle une jolie vue sur la vallée de la Vonne, franchie par un viaduc comptant 22 arches et long de 432 m. On admirera l’harmonie de la courbe tracée par la rivière et le contraste de tons entre des prés d’un vert clair et le manteau sombre des bois escaladant les coteaux. 
     

    Poitou, Vendée, Charentes, Guide de tourisme, Michelin, 1986

     

    Dans le corpus des cartes postales du début du XXe siècle, le pont de Lusignan au-dessus de la Vonne en raison certainement de l’esthétique de ses nombreuses arches est bien présent.  Il est resté un motif apprécié comme en témoignent d’une part cette photographie de Jules Robuchon et la citation extraite de l’édition de 1986 du guide vert Michelin.

    La vallée de la Vonne

    La Vonne, qui trace un chemin sinueux dans l’unité de paysage, arrose, entre autres bourgs, Lusignan, Jazeneuil, Curzay et Sanxay. Dans cette partie de l’unité, les représentations sont assez fournies en raison du pittoresque des villages installés soit sur une hauteur, soit à flanc de coteau ou encore les pieds dans l’eau.

     

    Curzay est implanté en situation de belvédère au détour d’un méandre de la Vonne. Cette image aérienne rend compte en partie de la topographie particulière du site et de la boucle serrée de la rivière. Elle permet aussi d’appréhender la structure du paysage rural alentour. La rareté des représentations du paysage de bocage rend cette image particulièrement précieuse.

    Au bord et au fil de l’eau

    Ces deux belles photographies du tout début du XXe siècle magnifient la complicité visuelle entre le cours de la Vonne et le volume et l’architecture de l’église romane de Jazeneuil d’une part, et celui du village dominé par son église à Sanxay. Aucun élément ne vient perturber cette douce harmonie.

    Le ravissant village de Jazeneuil. Là, tout n’est qu’harmonie et sérénité. Entre les futs élancés des peupliers et les branches mélancoliques des saules, l’église Saint-Jean-Baptiste se mire dans les eaux où palpite le reflet de ses contreforts à colonnes. 
     

    Michel et Françoise Magne, Sentiers et randonnées à pied, à bicyclette de Poitou-Charentes, Fayard, 1976

    La permanence de la valeur paysagère du site de l’église de Jazeneuil, au bord de la Vonne, est confirmée ici par la version contemporaine de la prise de vue. Le photographe s’est éloigné du monument pour donner davantage de place à la rivière et ses jeux de transparences. 

    Moulins et fontaines

    Jules Robuchon (1840-1922) qui a beaucoup photographié la Vienne et édité ses images sous forme de carte postales s’attache ici aux paysages de la Vonne avec, à gauche le moulin de Sanxay et, à droite, vers Cloué, l’une des nombreuses « fontaines » et sources du cours de l’un de ses affluents, le Gabouret. Aujourd’hui un sentier a été aménagé pour mener jusqu’à la grotte (visible sur la carte postale) d’où surgit à la base du coteau calcaire la rivière jusque-là souterraine.

    Au sud, la vallée de la Charente

    Au sud du département, la Charente forme une grande boucle qui arrose deux bourgs patrimoniaux : Civray dont l’église romane est très présente dans l’iconographie ancienne et contemporaine, et Charroux dont la tour, vestige de l’ancienne abbaye fondée par Charlemagne, est un emblème de l’architecture romane poitevine. Les représentations de ces deux monuments écrasent celles du paysage environnant. C’est dans les citations des guides ou les géographies qu’il faut aller chercher des descriptions ouvrant un champ plus vaste.

    La Charente est une rivière extraordinairement sinueuse : à peine s'il y a 150 kilomètres en ligne droite entre sa source et son embouchure ; mais son cours développé dépasse 550 kilomètres, dont 40 environ appartiennent au département, où elle entre par 155 mètres d'altitude, et dont elle sort par 95, après y avoir passé près de Charroux, sous les ponts de Civrai [sic], et y avoir coulé d'abord au nord, puis à l'ouest, enfin directement au sud. 
     

    Adolphe Joanne, Géographie du département de la Vienne, Hachette, 1877

    Peut-être moins agricole que le reste du département, cette région [le pays civraisien] du sud de la Vienne bénéficie déjà de la douceur des paysages charentais. Le cours de la Charente et les berges verdoyantes y sont certainement pour quelque chose. 
     

    Poitou-Charentes, Le Routard, Hachette, 2014

    Ces deux dessins du XIXe siècle, au trait soigné confirment le statut patrimonial ancien des monuments romans de Charroux et Civray.  Aujourd’hui ces monuments historiques constituent le principal argument touristique du secteur.

    L’Auxance et la Boivre : quelques images

    Sur l’Auxance

    Datées du début du XXe siècles, les deux cartes postales en noir et blanc de Quinçay montrent un des caractères pittoresques de la vallée de l’Auxance : ses falaises calcaires abruptes qui contrastent avec le cours tranquille et bucolique du cours d’eau. Aujourd’hui, si les images sont plus rares deux circuits de randonnée mettent à l’honneur le petit patrimoine vernaculaire (lavoirs, ponts, châteaux…) et les falaises calcaires. Ces dernières sont aujourd’hui représentées quand elles accueillent des sites d’escalade, notamment à Beauvoir sur l’Auxance et à Béruges, ou sur la Boivre à Vouneuil-sous-Biard.

    Sur la Boivre

    La vallée, le cours de la Boivre sont des éléments de paysage dignes d’être photographiés quand le ruban court au bas du village et illumine le paysage ou lorsque dans un cadre plus intime, la rivière crée aux abords d’un moulin un site particulier.

    Lavausseau, au bord de la Boivre est connu pour son activité de tannerie. Les images de moulins ou d’ateliers sont nombreuses dans l’iconographie ancienne. Ici, l’image montre le paysage des abords de l’église construite un peu en surplomb de la rivière : une vue toute en douceur comme la pente de la prairie animée par deux grands arbres.

     

    À Béruges, le tableau de la rivière est complété par le château que l’on distingue à l’arrière-plan caché par de jeunes peupliers.  

    Halles, une présence originale

    Plus que dans d’autres unités de paysage, les halles font partie des éléments des paysages des villages présents dans l’imagerie ancienne, et parfois contemporaine

    Les halles de Charroux construites au XVe siècle marquent de leur présence la ville médiévale et ses représentations (cartes postales, images du tourisme, carte IGN…).

    La préhistoire et l’archéologie, une existence discrète

    Les grottes de Chaffaud pour la préhistoire, le site de Sanxay pour la période gallo-romaine, les Terres rouges bocagères abritent des sites historiques importants. Leur médiatisation et leurs représentations restent cependant discrètes au regard de leur intérêt, et de la profondeur historique qu’ils offrent aux paysages dans lesquels ils prennent place.

    Les grottes de Chaffaud

    La vallée de la Charente présente aussi de belles falaises calcaires. Celles aux alentours de Savigné, entre Civray et Charroux ont offert des abris aux hommes du Magdalénien. C’est dans l’une de ces grottes qu’a été découverte pour la première fois (avant 1845) une œuvre d’art mobilier paléolithique. Agée d’environ 15 000 ans, elle représente sur un os de renne deux biches gravées. Cette œuvre de première importance est conservée au musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye.

    Les thermes et l’amphithéâtre de Sanxay

    Malgré sa situation exceptionnelle sur les rives de la Vonne, le site de Sanxay est peu représenté. Daté du 1er siècle de notre ère, il s’y développe une agglomération avec un sanctuaire et un théâtre qui a dû compter plusieurs milliers d’habitants.

    Du seuil du Poitou l’on atteint la Gâtine (…), en remontant l’un des affluents gauches du Clain, spécialement la Vonne jusqu’à la tout nouvellement célèbre Sanxay. Cette bourgade a dans son voisinage une sorte de Timgad ou de Pompéi rustique (…). Quand on est parvenu dans le pli de ravine où sourd cette tant sinueuse et gracieuse riviérelle, on est déjà sur le flanc du Terrier du Fouilloux, dos culminant de la Gâtine (272 mètres). 
     

    Onésime Reclus, À la France, sites et monuments : Poitou, Touring Club de France, 1904

     

    Les représentations du site dans son environnement paysager sont rares. C’est le cas ici dans cet extrait de vidéo qui montre, de manière peut-être involontaire, la relation étroite entre un site et son paysage.