Les paysages évoluent

    Les traces de l’histoire

    Les paysages évoluent sans cesse. Les traces des évolutions passées permettent de comprendre comment se sont formés les paysages actuels. Il est également possible de repérer ce qui est en train de changer aujourd’hui. L’œil aiguisé peut lire la trace d’une haie arasée sur un versant, analyser la mutation des paysages périurbains…

    Les paysages gardent la mémoire des différentes strates de l’histoire. Le temps efface bien sûr bien des choses, mais il est toujours possible de repérer les traces de différentes époques historiques préservées dans certains contextes. Certains tracés de chemins ou implantations villageoises sont ainsi très anciens et cette permanence leur confère une valeur particulière.

    Les paysages sont en constante évolution

    Le paysage évolue constamment, tant dans sa matérialité que dans sa perception, souvent de manière lente et imperceptible, parfois suivant des mutations rapides et radicales. La conscience que nous avons de ces évolutions est en général très limitée, soit parce que nous n’avons pas souvenir des anciens paysages, soit plus simplement parce que nous ne les avons connu ni en réalité ni en image.

    Un regard en arrière nous permet de prendre conscience des mutations successives des paysages de la Vienne. La question ensuite est de savoir comment accompagner ces évolutions afin de conserver des paysages de qualité.

    Du XIXème siècle aux années 1950, la valorisation des ressources du territoire

    Toutes les ressources du territoire sont mobilisées : eau, forêt, minerais, sols…

    Au XIXème siècle, la croissance urbaine est régulière. Les bourgs s’affirment, créant des faubourgs autour du cœur ancien. Dans les villes, les espaces publics participent à l’hygiène et à l’embellissement : places, avenues, boulevards, sont ainsi aménagés, souvent en articulation avec les nouveaux quartiers des faubourgs.

    Les moulins à vent  et à eau vont progressivement perdre de leur importance avec l’émergence des nouvelles énergies : vapeur, puis électricité.

    Un nouveau réseau de transport est créé permettant des déplacements plus sûrs et plus rapides : voies ferrées, canaux, rivières navigables, routes, ponts. Ces infrastructures sont accompagnées de plantations d’arbres d’alignement qui assurent l’ombrage et la tenue de la structure.

    Le département de la Vienne est relativement épargné par la révolution industrielle. Ce sont donc plutôt des établissements de taille moyenne qui vont se développer, principalement le long des vallées du Clain, de la Vienne et de la Gartempe, et essaimer plus modestement sur le reste du territoire.

    Après les activités liées aux cours d’eau ou les forges exploitant un fer local devenu insuffisant, le chemin de fer va permettre l’implantation de quelques industries plus importantes telles que les carrières, usines chimiques, fonderies, ou la manufacture d’armes de Châtellerault dont les produits sont exportés hors du département.

    Un optimum de mise en valeur agricole du territoire

    La fin du XIXème siècle correspond à un optimum de peuplement des campagnes. De nombreux défrichages et déforestations se sont succédés au bénéfice d’une valorisation agricole intense du territoire. Le moindre arpent de terre est mis en valeur. Fermes et hameaux agricoles sont dispersés sur tout le territoire. L’exiguïté du parcellaire témoigne de l’importance de la population paysanne. C’est une fine mise en valeur des terroirs avec un petit parcellaire en lanière où cultures, élevage et arbres sont étroitement associés.

    Le XIXème siècle est le début de la spécialisation de certains terroirs, permise grâce à l’amélioration des transports. Certaines cultures comme la vigne, ou l’asperge à Lencloître (exportée aux quatre cinquièmes vers Paris) sont alors très rentables.

    Au nord-ouest, le vignoble s’avance jusqu’aux portes de Poitiers. Il est majoritaire sur de nombreuses communes entre les vallées de l’Auxance - Vendelogne et celle de la Pallu, se prolongeant jusque vers la Dive, cédant la place aux cultures plus au nord.

    Au nord-est, landes, forêt, cultures et vignes se partagent l’espace entre Clain et Vienne, puis les landes dominent à l’est de la Vienne.

    Fin XIXe, les vignes disparaissent mais l’élevage progresse

    C’est du côté du vignoble que les changements vont être les plus visibles avec le phylloxéra qui décime le vignoble à partir de 1878. Celui-ci, 30 fois plus étendu qu’aujourd’hui ne sera que partiellement replanté à la fin du XIXe siècle.

    De manière moins spectaculaire, l’élevage se développe à la fin du XIXe siècle, favorisant la création de laiteries qui apparaissent à côté ou en remplacement des autres petites industries liées à l’agriculture (huileries, tanneries…).

    A partir des années 1960, la révolution du pétrole

    A partir de la mise à disposition d’une énergie peu chère, le modèle paysager change radicalement. La géographie et les ressources locales deviennent secondaires face à la puissance des moteurs et à la facilité des transports.

    Le tout voiture

    L’amélioration des routes, la création des voies rapides et des autoroutes changent la notion de distance. Avec la voiture, les déplacements s’accélèrent et les distances se mesurent désormais en minutes et non plus en kilomètres. Avec la concurrence de la route, de nombreuses petites voies ferrées perdent leur usage commercial et seront abandonnées. Certaines deviendront ensuite des voies touristiques ou des voies vertes.

    L’essor des villes

    Les villes se développent rapidement à partir des années 1960. Habitat collectif puis lotissements de maisons individuelles et zones d’activités dilatent le territoire des villes et changent le paysage urbain. La lecture du site urbain originel est souvent effacée par ces extensions. Dans les campagnes et autour des villes, la diffusion de la maison individuelle brouille la limite entre village et champs. Au cœur des bourgs, la voiture envahit l'espace public, les places et les rues devenant progressivement des espaces de stationnement.

    Les efforts de déconcentration débutent dans les années 1960 où diverses industries s’installent, comme à Chasseneuil-du-Poitou. C’est ensuite dans l’esprit de la décentralisation des années 1980 que sera créé le Futuroscope (ouvert en 1987) qui va fortement impacter les formes et l’intensité de l’urbanisation au nord de Poitiers, alors que les sites industriels sont en crise.

    Des déviations ou des rocades contournent la plupart des villes, l’autoroute A10 construite dans les années 1970 et la ligne LGV ouverte en 2017 ont spectaculairement renforcé l’axe Paris-Bordeaux. Mais pour spectaculaires qu’ils soient, ces grands travaux n’affectent finalement qu’une petite partie des paysages départementaux, le reste ayant connu des transformations plus modérées.

    L’agriculture industrielle

    L’agriculture ne vise plus à nourrir la population locale, mais à répondre à une demande nationale et mondiale. La fertilisation des sols, l’irrigation et le drainage, le remembrement et la mécanisation agricole transforment profondément le paysage à partir des années 1950. Progressivement, la taille des parcelles augmente, les arbres et les haies régressent et les chemins sont moins nombreux. Dans les zones de grandes cultures, le paysage s’ouvre largement. L’irrigation se généralise permettant une grande variété de productions : fruits, légumes, semences, céréales, oléo-protéagineux… Chaque parcelle est désormais spécialisée.

    A partir des années 1980 le recul de l’élevage entraîne un abandon des terrains pentus qui se referment et s’enfrichent. Dans les vallées, les fonds humides autrefois gérés en pâture, évoluent vers des cultures de maïs ou des peupleraies. Le paysage des petites vallées tend à se refermer.

    De façon générale dans la Vienne, on observe une régression du maillage bocager, liée au recul de l’élevage et des prairies, à l’agrandissement des parcelles et au basculement de certains secteurs vers la culture céréalière intensive. La diminution du linéaire de haies a ainsi été estimée à 34% en 40 ans dans le Montmorillonnais et à 67% dans les Terres Rouges Bocagères  (Source : Les cahiers du patrimoine naturel, 2012).

    Un peu partout, le maillage bocager se disloque, perdant progressivement de sa cohérence, avec de grandes variations de gestion d’une exploitation à une autre. Certains secteurs se sont ouverts progressivement et n’accueillent aujourd’hui que quelques linéaires de haies relictuels, dont certaines sont réduites à quelques arbres isolés.

    Les crises de surproduction viticole au XXème siècle vont contribuer à la réduction continue du vignoble qui va progressivement se concentrer sur ses terroirs les plus qualitatifs et engager au XXIème siècle des démarches de reconnaissance qualitative grâce aux labellisations VDQS(Vin délimité de qualité supérieure) puis IGP(Indication géographique protégée) et AOC(Appellation d'origine contrôlée).

    Le XXIème siècle : la crise climatique et le questionnement des modèles de développement

    Le paysage du XXIème siècle verra lui aussi de profonds changements. La crise climatique, dont les premiers effets se font sentir, questionne les modèles en place. Les vagues de chaleur ou de sècheresse, la multiplication des épisodes climatiques extrêmes, obligent à repenser des systèmes de développement plus résilients. Si l’objectif de décarbonation de l’économie semble maintenant partagé, le chemin pour y parvenir n’est pas encore tracé. Ces évolutions auront un impact certain sur les paysages de demain.

    Les villes commencent à réduire leur consommation foncière et à infléchir leur aménagement pour éviter les ilots de chaleur. L’accueil des énergies renouvelables déconcentrées sur le territoire commence à impacter les paysages de la Vienne et leur acceptation sociale n’est pas toujours évidente. Dans ce département très agricole, les défis seront nombreux concernant la réduction de la consommation en eau, la place de l’arbre et la décarbonation de la filière agricole.

    Face à la régression du maillage de haies, des politiques de plantation se sont mises en place dans le département. Les programmes allient plusieurs acteurs qu’ils soient financeurs ou maîtres d’œuvre des plantations : agriculteurs, collectivités, associations de chasse, agence de l’eau… Dans son Plan arbres, le département de la Vienne a mis en place des aides spécifiques pour la plantation et la restauration de haies.